Mystery Train

 

Au bout de la rue, une trouée dans les arbres.
Un quai en bois clair se devine. Puis des rails, dessinant une ligne sinueuse au milieu de joncs, de nichoirs à faucons, de poches d’eau salée, jusqu’à se perdre au loin, dans une forêt encore à peine feuillue. Une voie ferrée ici ?
Juste à ce moment-là, comme en réponse à nos interrogations, surgit du fond du cadre, à toute vapeur, un petit train rouge, brillant, lustré. Tchou tchou ! Stoppe pile au niveau du quai. En sort un ample conducteur, avec casquette bleue s’il vous plaît, occupé à crocheter le câble de son antique trolley au fil électrique surplombant la ligne.  « Wanna come in ? »
Et hop, nous voici dans la place, l’unique compartiment pour nous seuls, entretenu avec soin, banquettes en osier serré, vernis, publicités des années 40 et 50 et éclairage à l’ampoule ronde. Un dernier coup de sifflet, c’est parti pour une balade hors du temps, deux ou trois kilomètres dans une nature étonnante, marais, bras de mer, bois et petites collines granitiques. Direction l’entrepôt. Deux ou trois plaisanteries avec les collègues, revérification du crochet sur le fil électrique, nous voici repartis dans l’autre sens. Marais, petit pont, vols d’oiseaux majestueux, on freine, et on saute sur le quai en bois clair. On remercie, et le voilà qui s’éloigne à nouveau en chantant du sifflet.

Depuis je vérifie chaque jour que le quai en bois est toujours au bout de la rue, mais le petit train n’est jamais revenu. A quelques encâblures de là s’épanouissent autoroutes à huit échangeurs, centres commerciaux ouverts 24/24, docks pétroliers et maisons individuelles.

Et tout près, l’immense océan qu’on entend respirer la nuit, si on coupe le moteur et qu’on s’approche assez.