Lisez bio

Quand j’ai appris à mon entourage que je me lançais dans l’écriture, particulièrement l’écriture de biographies pour particuliers, j’ai reçu une pile d’ouvrages relevant de ce genre littéraire. Ces encouragements font chaud au coeur, même si le talent des auteurs concernés donne le vertige. Du coup je me suis dit que j’allais commencer mon blog par une rapide “review” des biographies qui m’ont le plus marquée, chacune ayant sa couleur, son style, sa personnalité. Voici la première :

Moi, Abraham, de Jerome Charyn

Je connaissais cet écrivain de réputation – un des géants de la littérature américaine contemporaine – mais je ne l’avais jamais lu.

blog,biographie,article,rédaction,St Etienne,LoireMoi, Abraham dépoussière le mythe Lincoln en retraçant avec souffle, réalisme et poésie l’épopée d’un jeune homme solitaire et dégingandé devenu le Président lié à la fin de l’esclavage aux États-Unis. C’est un ouvrage puissant, décrivant avec la même maestria l’amoureux désespéré, dégoulinant de pluie, de larmes et de poussière dans le petit cimetière d’Old Concord, le capitaine improvisé pourchassant Black Hawk à travers les étendues piégeuses de l’Illinois, l’avocat autodidacte et bateleur, courant les meetings politiques dans les saloons les plus reculés des États du Nord, puis le Président isolé, face au conflit le plus dévastateur de l’histoire de son pays…

 

 

Tenace, insondable, opportuniste, homme de convictions, fidèle et tortueux. Ces contrastes déshabillent l’icône pour en faire un être de chair et de sang, énigmatique et proche. Le livre rend également hommage à sa farouche épouse Molly, intelligente, fantasque, vigoureuse, brisée par la mort de ses fils, qui s’enfonce dans des accès de démence et de mélancolie de plus en plus éprouvants. Son sens politique fut reconnu par son mari, pas par les manoeuvriers de la Maison Blanche. L’amour fidèle qu’il lui porte, les coulisses familiales, leurs drames et leurs bonheurs, leur isolement dans le camp retranché qu’est la Maison Blanche en pleine guerre de Sécession, sont dépeints avec la même efficacité que les colonnes de soldats et de civils déguenillés, perdus, errant entre Nord et Sud au plus fort du conflit.

La solitude et la fragilité du pouvoir sont très bien rendus dans cette biographie qui commence par l’assassinat d’Abraham pour terminer par une réflexion saisissante sur la mort, la vie, la réalité telle qu’on la perçoit et telle qu’elle existe … peut-être.

Ce qui rend ce livre également intéressant est le rôle tenu par le paysage : Charyn nous transporte dans un pays encore sauvage à bien des égards, et la sauvagerie est très présente dans le livre : sauvagerie des comportements à peine policés par les codes de la bonne société, qui ne cessent d’affleurer dans le moindre échange durant la guerre de Sécession, sauvagerie d’une nature pleine de ressources mais aussi dangereuse, sauvagerie des fermiers de la “frontier” prêts à tout pour défendre leur propriété, sauvagerie des Indiens traqués et des desperados sans foi ni loi … Le “séjour” que Lincoln passe dans la hutte forestière de Jack et Hannah, le truand à moitié fou et sa compagne à la voix d’ange, habitués à la dureté et capables d’une étrange distinction, est rendu de manière saisissante.
Personnages truculents, colorés, trame historique et biographique parfaitement maîtrisées : Moi, Abraham, est autant le portrait intimiste d’un personnage mythique qu’une fresque épique sur un moment décisif de l’histoire américaine.

 

Voilà ce que Charyn dit de son personnage principal dans sa postface :

« Moi, Abraham est une chronique familiale dans laquelle la fureur de la guerre et la politique grondent à l’arrière-plan pendant que Lincoln exécute une danse macabre avec ses généraux, se querelle avec son fils aîné et tâche de contenir les éclats de sa femme. Le roman est entièrement narré par la voix de Lincoln, mélange étrange des tournures semi-dialectales et des expressions formelles d’un homme qui ne connut que quelques mois de scolarité dans une école de campagne et dut essentiellement s’instruire par ses propres moyens (…) Lincoln incarnait (la) passion morale à bien des égards. Nous le considérons aujourd’hui comme un dieu. Pourtant son propre parti voulut se débarrasser de lui en 1864 pour nommer Grant. Lincon prédomina, emmitouflé dans son châle vert à la Maison-Blanche, tenaillé par la mélancolie, les pieds toujours froids, et il préserva une nation qui avait commencé à se déliter et dont, souvent, il ne maintint l’unité qu’à la force du poignet et en usant de son sens infaillible de la valeur humaine : un « marshal » des confins pionniers doué de poésie et d’une profonde tristesse de l’âme. »

 

 Prochain article : Monk, par Laurent de Wilde