Michael Tolliver est vivant, par Armistead Maupin

 

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Une chronique de San Francisco

Il y avait si longtemps que je ne m’étais pas immergée dans les merveilleux Tales of the City ou Chroniques de San Francisco, d’Armistead Maupin. Pas merveilleux dans le sens « extraordinaires » ou irréalistes, mais plutôt dans le sens où ils regorgent de vie, de finesse d’observation et – mot galvaudé – de résilience.
Michael Tolliver, héros et narrateur, est un des personnages qui peuplent ces contes de la baie, avec Mary Ann, Brian, Anna Madrigal … certains ont disparu, depuis le premier tome et le terrible virus qui a décimé une partie de la communauté gay de San Francisco, les autres sont là, bien vivants, avec leurs casseroles, leurs regrets, leur gloire et leur attachement mutuel.

 

 

28 Barbary Lane / le reste du monde

Le premier tome, paru il y a presque vingt ans, narrait l’arrivée de Mary Ann, jeune provinciale fraîchement débarquée de son Ohio natal et sa découverte d’une autre manière de vivre à San Francisco, l’une des villes les plus avant-gardistes du moment. Dans la pension tenue par Anna Madrigal au 28, Barbary Lane, elle faisait connaissance avec une galerie de personnages en marge de la vision traditionnelle de l’American Way of Life.

 

The real Barbary lane

Nous sommes à présent en 2006. Michael Tolliver, à l’époque jeune homosexuel diagnostiqué séropositif, craignait d’être emporté par la maladie. Les années ont passé et grâce au traitement, « Michael Tolliver est vivant » et bien vivant.
Agé maintenant de 55 ans, marié à Ben, il est confronté aux mensonges de sa famille bien pensante de Floride, dont il a toujours été le vilain petit canard, et la vieillesse de sa mère de cœur, Anna.

 

 

Question de normes

A l’ouverture d’esprit, à la sensibilité de cette dernière s’opposent les crispations des frère, mère et belle-soeur qui n’assument toujours pas, des années après, l’homosexualité de Michael.

Au-delà du destin de cet homme, « Michael Tolliver est vivant » est un hymne à l’affirmation de soi, à tracer son propre chemin sans faire des normes sociales sa seule boussole. Ce qui ne va pas sans douleur.

Le rejet par sa mère – jusqu’à l’acceptation finale, qui vient trop tard selon lui – son refus d’aimer son fils comme il est, a été source d’une souffrance constante dans la vie de Michael, souffrance à laquelle il a dû faire face et gérer à sa manière. La résilience qu’il a développée à ce sujet est décrite dans un court dialogue entre le protagoniste et son époux, vers le milieu du livre, alors que la mère est mourante :

– Les gens disent toujours : « mais bien sûr que tu l’aimes, tu dois l’aimer, c’est ta mère », mais cette sorte d’amour peut mourir aussi facilement que les autres. Il doit être nourri pour vivre.

– Elle t’aime, Michael

– Pas suffisamment pour remettre en cause ce qu’on lui a inculqué (…) je l’ai laissée partir il y a longtemps. Mon deuil est fait, déjà.

Sous la plume de Maupin, les freaks, les décalés sont ceux qui vivent selon les préceptes exacts du conformisme intolérant et paternaliste au possible de la famille de Michael, symbolisés par le petit théâtre de poupées ridicule que sa belle-soeur trimballe partout avec elle pour purifier les âmes, véritables masques de vertu que la mère, dans un sursaut de vérité et de dignité, balance à la face de sa bru.
A l’inverse, il décrit avec grâce chaque situation de sa vie d’homme gay, ayant choisi sa famille et gagné son équilibre sans l’aide des liens du sang.

 

 

Du grand art !

Armistead Maupin illumine par sa finesse d’observation des scènes banales et arrive à rendre avec justesse des émotions ténues, fragiles ou précieuses.

From this distance the pounding music in the Full Moon sounded almost bittersweet, like an orchestra heard across a lake. The actual moon was far from full – just a little nail paring caught in the branches – but it was lovely.
(…)

– Qu’est-ce qui te fait penser à Mona ?

– La joie que je ressens, je pense. Tu me ramènes à mes meilleurs moments. Je me sens connecté à eux, à nouveau (c’était vrai, mais ce n’était pas toute la vérité. Je méditais également sur la douleur de l’impermanence)

Comment arrive-t-il à bâtir, chronique après chronique, cet univers planté sur la baie de San Francisco, cathédrale en papier faite de multitudes d’instants capturés, de sensations et d’émotions qui nous rendent proches ces personnages, leurs doutes, leurs arrangements avec la vie, leur courage aussi ?

Chacune de ces chroniques est une leçon pour un apprenti écrivain : sa science des dialogues, la gravité sous la légèreté, le rythme, l’attention portée aux détails… Ce livre est une célébration de la vie, quoi qu’elle nous apporte. Parlant d’un miraculé, écrit par un auteur lui-même éprouvé, le titre est une affirmation crâneuse et pleine de joie : Michael Tolliver est vivant.

Il a écrit un nouvel opus depuis, Anna Madrigal. Un beau plaisir de lecture en perspective.