Michelle Obama, reine du storytelling en politique

C’est maintenant la dernière ligne droite : dans 48 heures, les américains et le reste du monde sauront qui présidera à leur destinée pour les quatre prochaines années. Résidant aux États Unis pour quelques jours encore, j’ai souhaité revenir sur ce qui selon moi fut le plus beau moment d’une campagne tendue et éprouvante pour le pays : le superbe discours de la First Lady Michelle Obama, le 13 octobre dans le New Hampshire.

 

Discours de Michelle Obama dans le New Hampshire le 13 octobre 2016 

Abondamment commenté, très admiré, je l’ai écouté peu après sa diffusion, éblouie comme beaucoup d’autres par la qualité et la force de son contenu. Réalisé dans un « swing state » (état indécis, qui « balance » (swing) entre le camp des démocrates et celui des républicains en fonction des élections) à peine un mois avant l’échéance, il fait suite à un épisode particulièrement désastreux pour le camp républicain, avec la diffusion de propos vulgaires et misogynes de leur candidat.
Le discours se montre à la hauteur de l’enjeu et au-delà, pour devenir une référence dans cette campagne brutale :

 

1/ Michelle Obama oratrice hors pair

Accessible, claire, elle s’exprime sans note pendant 24 minutes sans jamais se laisser déconcentrer ni être dans la connivence déplacée. Elle semble réellement habitée par ce qu’elle dit, ce qui se traduit par une voix qui enfle progressivement, une attitude corporelle ouverte et très droite.

 

Michelle Obama

 

 

 

2/ Un modèle de discours

Son propos est parfaitement construit : après avoir « chauffé » la salle, elle s’appuie sur un exemple concret : sa semaine « contrastée » entre la Journée internationale de la fille le 11 octobre, lors de laquelle elle a rencontré des jeunes femmes qui l’ont inspirée par leur courage, et la dernière saillie particulièrement dégradante de l’ « opposant » (dans une campagne saturée de « Trump », elle a l’habileté de ne jamais citer son nom). Elle revient sur cet épisode lamentable pour tisser une double trame : l’affirmation du droit au respect pour les femmes et le soutien à la candidate démocrate Hillary Clinton.
Se servant de « l’opposant » (champ lexical négatif) comme repoussoir, elle dit « ça suffit ! » et décrit avec puissance ce que doit être le futur ou la future président(e) des Etats Unis. On arrive à l’acmé du discours et c’est exactement à son milieu qu’elle clame : cette personne est Hillary Clinton. Maîtrise du temps.
Après un éloge efficace de la candidate démocrate, elle insiste sur l’importance du vote pour stopper le « délire » de l’opposant, pour réaffirmer les valeurs de son pays ridiculisées par cet homme. Elle termine dans la plus pure tradition américaine, avec un «êtes-vous tous avec moi ? » digne d’une superstar en concert et « God bless », dans une ambiance de ferveur extraordinaire.

 

 

3/ La politique comme vision de la société

Plusieurs fois dans le discours elle revient sur deux points : l’importance pour les États Unis de garder un rôle de « phare » (également habile car elle chasse sur les terres de Trump dont le slogan est « Make America great again ») et le message à transmettre aux enfants. Elle fait de ce vote un symbole de l’affirmation des valeurs qui, selon elle, ont fait de ce pays une grande nation : le respect pour chaque citoyen, quel que soit son sexe. Elle insiste : la grandeur d’un pays se mesure à la manière dont il traite ses filles et ses femmes. Et elle est stupéfaite que dans son pays, on en soit encore là en 2016. Elle a des mots vibrants pour parler des humiliations subies par les femmes et du courage qu’il faut pour relever la tête en s’impliquant personnellement, en tant que femme, disant à quel point l’attitude de « l’opposant » lui a semblé dégradante, blessante.

Elle est très juste et avisée en associant les hommes à sa réflexion. Pour Michelle Obama, c’est une réduction de la masculinité de considérer les hommes comme des prédateurs. « Les hommes forts n’ont pas besoin de rabaisser les femmes pour se sentir puissants. Les gens vraiment forts tirent les autres vers le haut », ce qui est le cas, dit-elle, de Hillary Clinton.
Donc elle invite chaque citoyen à voter pour Hillary Clinton en insistant sur l’importance du vote de chacun : « We have knowledge. We have a voice. We have a vote ».

Ce discours est celui d’une femme, d’une démocrate, mais aussi d’une très bonne politique. L’avenir dira s’il dessine le début d’une ambition personnelle.

 

 

4/ Comment écrire l’histoire américaine ?

La communication politique est storytelling : on raconte une histoire en s’appuyant sur des valeurs, un mythe, une identification, avec les ressorts du théâtre, de l’émotion, de la persuasion. On raconte un récit, voire une épopée.
Michelle Obama maîtrise cet art à la perfection. Face à une campagne qui s’enfonce en-dessous d’un niveau acceptable, elle prend la plume pour écrire une belle histoire : celle d’un pays unifié, qui traite avec le même respect ses citoyens quelque soit leur sexe, qui élit une personne compétente et expérimentée pour conserver son rôle de leader « moral » dans le monde. Elle s’implique personnellement dans cette histoire, décrivant ses propres émotions « It hurts » (« c’est blessant ») et terminant sur une note d’espoir.
Certaines étapes d’une campagne marquent les esprits, constituent une référence – positive ou négative – dans le cours long et tortueux de la démocratie. Ce discours est une référence en la matière. Sera-t-il suffisant pour influer sur le résultat du vote ? Nous serons rapidement fixés.