Début novembre 2020 à Vienne (en translation)

Lundi 9 novembre, une brume humide recouvre la ville et fait ressortir les feuilles dorées qui s’obstinent encore sur les arbres. Ca fait une semaine maintenant qu’a eu lieu l’attentat qui a secoué Vienne, on vit au rythme du confinement, encore relativement light ici.

Au fond à droite, l’incinérateur designé par Hundertwasser,
devant le beau Danube, pas très bleu

Un lockdown annoncé fin octobre

Le 2 novembre à minuit devait entrer en vigueur le nouveau confinement (« lockdown ») décidé par le gouvernement autrichien pour tenter de juguler la hausse des cas de coronavirus, jugée préoccupante par les autorités sanitaires. Contrairement à la France, ce confinement permet encore de circuler librement dans l’espace public, ce qui est hyper appréciable. Les principales mesures sont les suivantes :

  • Couvre feu à 20 heures,
  • restaurants, bars, musées, salles de concert fermés,
  • aucune réunion ou rassemblement en petits groupes
  • télétravail très encouragé,
  • enseignement à distance à partir de 14 ans.

Avec l’exceptionnelle douceur, beaucoup de gens ont profité lundi 2 novembre de leur dernière soirée en ville. De notre côté, nous étions partis pour deux jours de break à Graz et en Styrie, au sud est de l’Autriche, pour savourer la dolce vita dans cette belle ville, d’autant que les enfants étaient en vacances.

Le Musée d’art de Graz (Kunsthaus), au bord de la rivière Mur
Un peu de découverte culturelle : la bière Gösser est fabriquée à Leoben, tout près de Graz 🙂

Le 2 novembre

En approchant de Vienne, le soir du 2 novembre vers 21h, mis à part la présence de voitures de police sur l’autoroute nous doublant à vive allure, nous ne nous doutions de rien. C’est un SMS de ma mère, qui voulait savoir si tout allait bien pour nous, qui m’a appris la nouvelle de l’attentat. Une fois les enfants au lit, nous avons tenté d’en savoir plus, tout en écoutant le ballet d’hélicoptères et de sirènes dans la nuit. Informations flippantes (et pour la plupart fausses) sur les réseaux sociaux (prises d’otages, plusieurs terroristes en fuite, différents sites d’attentats disséminés sur toute la ville…) presse qui tente d’obtenir l’info tout en la recoupant mais qui ronge son frein pendant plusieurs heures, police en première ligne, qui tente de contenir les rumeurs et les vidéos on line, politiques sur le pont durant la nuit… chacun joue sa partition, pour une ville qui se réveille assommée, en ce premier jour de confinement.

Dur réveil

Mardi 3 novembre matin : gueule de bois. Le 1er arrondissement, finalement le seul touché par l’attentat (le coeur historique de Vienne, dans l’hypercentre) est interdit d’accès, chacun est tenu de rester le plus possible chez soi tant que tout n’est pas clarifié. Dans la matinée, complément d’informations sur ce qui s’est passé. Je vais en fin de matinée faire deux ou trois courses essentielles à Billa, la supérette dans la rue à côté de chez nous. L’artère commerçante, d’habitude vivante et animée avec ses chaises de café sur le trottoir, ses habitués, est très calme et silencieuse. Effet combiné du confinement, des consignes de sécurité. Les gens que je croise semblent sous le choc. Ou est-ce seulement moi ?

La vie quand même

Une fois la situation plus claire, j’explique ce qui s’est passé aux enfants, chacun séparément, car ils ont des sensibilités très différentes. Ils me bluffent par la maturité de leur réaction, cela m’apaise. En fin d’après-midi on décide de faire un tour dans le quartier et vers Döbling, au nord : ils jouent dans un de leurs squares préférés pendant qu’on observe la vie paisible autour de nous, pas mal de monde dans les rues, l’atmosphère a déjà changé depuis le matin. Je trouve que les gens ont le regard droit, certains plaisantent, ça fait du bien.

#Schleich di, du Oaschloch !

Vienne a réagi entre douleur et panache. Côté officiel, le gouvernement a décrété une minute de silence le 3 novembre, une messe en hommage aux victimes à Stefansdom, la cathédrale située tout près du drame, et les drapeaux en berne pendant trois jours de deuil national.

Une piscine municipale dans e 17e arrondissement avvec les drapeaux en berne

Les Viennois se sont fait entendre, et ce dès le soir de la tuerie : une phrase qu’un habitant aurait lancée depuis sa fenêtre au tueur : « Va te faire foutre, connard ! »= « Schleich di, du Oaschloch ! » en dialecte viennois, a fait le tour des réseaux sociaux et est devenue le symbole de l’esprit viennois. Elle fait la Une du Tageszeitung, un quotidien berlinois, le 4 novembre. Après #JeSuisCharlie, #PrayForLondon, #TodosConBarcelona (la liste commence à s’allonger…) voici la réponse locale au terrorisme aveugle.

 

Et pendant cette terrible soirée, l’orchestre du Wiener Philarmoniker, coincé avec ses spectateurs pour le dernier concert pré-confinement, a continué à jouer comme si de rien n’était, le Quartet de l’Empereur de Josef Haydn.

Euh … ça ne pourra qu’aller mieux !?

Ces réactions frondeuses, ce retour immédiat à la vie, les témoignages d’amitié et d’attention de nos proches, amis, famille, font chaud au coeur. En cette semaine si étrange, nous sommes heureux de vivre à Vienne, malgré tout, parce que cette ville a une âme et qu’elle l’a montré.

Andrea nous a glissé dans la boîte aux lettres le journal KronenZeitung du 5 novembre, avec ce double titre : « Quelle époque ! (confinement Covid / terreur en Autriche / réélection de Trump ?) » puis « ça ne pourra qu’aller mieux », avec à l’intérieur des interviews de personnalités autrichiennes qui croient en des lendemains meilleurs. Soyons optimistes et créons chaque jour ce qui sera notre lendemain.

Hommage

Jeudi 5, la librairie anglophone « Shakespeare & Company », dans laquelle j’avais commandé un bouquin, m’a annoncé qu’il était arrivé. Elle est littéralement située à deux pas du drame. Je demande aux enfants s’ils sont d’accord pour qu’on retourne dans le quartier, un des plus vivants et pittoresques de la ville, qu’on avait arpenté seulement quelques jours auparavant, où un hommage est rendu sous forme de fleurs et bougies. C’est très émouvant, d’autant plus que, côte à côte on retrouve deux pancartes :

  • L’une avec écrit « Schleich di, du Oaschloch », traduit plus haut
  • Et une citation du Coran :  » Celui qui tue un être humain tue toute l’humanité. Celui qui sauve un être humain sauve toute l’humanité. »
Le coeur serré
Shadow and light

Une drôle de semaine

On a beaucoup arpenté Vienne avec les enfants, découvrant de nouveaux quartiers, profitant de l’extraordinaire réseau de transports, savourant cette liberté toute simple de marcher nez au vent où on veut. Les enfants commencent à bien s’y connaître dans les principales lignes qui parcourent la ville, ils ont même commencé à mettre au point un Scotland Yard de Vienne (jeu de société, initialement situé à Londres). On a refait un tour en montagne, au Schneeberg, un coin situé à un peu plus d’une heure de Vienne, superbe. Bref, malgré le contexte lourd, on savoure tout ce qu’on peut, en se disant qu’un nouveau tour de vis sanitaire n’est pas à exclure. Lundi 9 novembre, nos deux petits Viennois ont retrouvé avec plaisir leurs copains, copines et enseignants. La vie continue !

Au bord du Donaukanal