« A la poursuite du bisou perdu », attention pépite !

Il était un mardi

Once upon a tuesday …

Il était un mardi …

C’est ainsi que commence « The kiss that missed » (en français : « A la poursuite du bisou perdu ») délicieux livre pour enfants écrit et illustré par le britannique David Melling.

Sachant que chaque conte digne de ce nom commence par « il était une fois » / « once upon a time », on assiste, dès la première phrase, à un détournement humoristique des codes littéraires, qui se vérifie à chaque page.

 

 

A la recherche du bisou perdu

L’histoire est la suivante : Un mardi soir donc, un roi pressé ne prend pas le temps d’embrasser son fils alors que celui-ci se met au lit. En passant devant la porte de sa chambre, il lui envoie un simple petit bisou.

Le bisou perdu : envoi du bisou par le roi - blog Scribendo

 

 

Mais ce dernier, malicieux et léger, rate sa cible …

Article blog Scribendo - Le bisou perdu : "it missed"

 

… et s’envole par la fenêtre ouverte, loin dans la nuit étoilée.

article blog Scribendo "The kiss that missed"le bisou s'envole

 

Drame.
Hurlements du garçonnet.

Un chevalier pas très dégourdi est sommé par la reine de rattraper le fuyard et de le ramener au château.

 

blog Scribendo "The kiss that missed" le chevalier

 

Ses aventures seront courtes mais riches en émotions et rencontres typiques : une forêt sombre et froide, des ours, des loups, un dragon.
Sa quête sera-t-elle couronnée de succès ? Ramènera-t-il le bisou tant espéré et le château retrouvera-t-il son calme ?
Doté d’un charme fou, ce livre est un bijou de fantaisie.

 

Détournement de codes

De fantaisie et de rigueur. Car même s’il se les approprie, David Melling utilise dans cette histoire tous les ingrédients du « schéma actanciel », structure d’interaction formant la trame de tout récit, bien connu des professeurs de français… Le schéma actanciel, mis au point par le linguiste AJ Greimas en 1966, repose sur des piliers aussi vieux que les premières sagas et épopées racontées le soir au coin du feu des grottes humides de Lascaux, Altamira ou Sulawesi, alors que les enfants, bouche bée, écoutaient les récits qui, amplifiés, enrichis, constitueront les prémisses de la tradition orale mondiale, fabuleux réservoir de contes, mythes et légendes.

Faisons un essai de schéma actanciel avec « The kiss that missed ». Tout concorde !

Ingrédients du schéma actanciel, tels que vous ne les trouverez pas sur Marmiton.org. Pour cette recette de cuisine inratable – et ses millions de variantes – il nous faut :

 

LES INGRÉDIENTS DU SCHÉMA ACTANCIEL

 

 DANS « THE KISS THAT MISSED »
 

Un héros ou une héroïne

(qui ne sait pas encore qu’il/elle est héroïque)

 

 

Le chevalier sans peur, sans reproche (et avec un trou au pantalon)

 

Le destinateur ou émetteur : ce/celui/celle qui sollicite le héros.

 

 

La mère du prince, qui ordonne au chevalier sus-nommé de quérir le bisou

 

La quête : sollicité par le destinateur, le héros part en quête de quelque chose. Un objet, une personne, un statut … la quête métamorphose le héros, lui donne son essence.

Mais tout ne va pas sans mal.

 

La quête est ici, bien entendu, le fait d’attraper le royal bisou

 

Le destinataire : La personne qui va être bénéficiaire de la quête du héros.

 

 

Le petit prince bien sûr !

Les opposants : tous les obstacles sur la route du héros.

David Melling a mis le paquet : ours, loups, neige, obscurité, dragon, vide :

toutes les peurs d’enfance ou presque sont réunies en deux pages !

 

Les adjuvants : ceux qui facilitent la quête. Paradoxalement, le bisou et le dragon s’avèrent être de bons adjuvants. Le premier car il endort ou calme les bêtes féroces lors de son passage (les loups se mettant à lire une histoire des trois petits cochons) et se cache dans la narine du dragon. blog Scribendo lecture loups "The kiss that missed"

Le deuxième car il se révèle affectueux compagnon, ramenant son petit monde (chevalier, cheval, bisou dans son filet à bisous) sur un seul de ses doigts griffus.

 

 

La communication et les contes : c’est pareil !

Cette base, simple et rigoureuse, est la trame autour de laquelle s’enroulent les fils de toute histoire structurée, qu’elle soit conte, poème épique, essai, non-fiction …C’est la trame de la vie et de son mouvement, qui peut se transposer dans de nombreuses situations, et dans tout ce qui relève de la narration, de la présentation. Voilà pourquoi l’univers de la communication professionnelle s’en est naturellement emparé. La communication mise sur l’efficacité dans la manière de présenter les choses, de manière à atteindre son audience (sa cible, son auditoire, son destinataire, bref, l’autre). Et en l’occurrence le récit, la saga sont des vecteurs mille fois plus efficaces que n’importe quel discours institutionnel ou catalogue d’intentions.

Pourquoi ? Parce qu’ils font appel aux émotions, aux sens, au plaisir, à l’identification, et non à la raison seule. Une communication bien travaillée s’appuie sur les mêmes ressorts que ceux des contes traditionnels, des épopées, des romans policiers. Ces ressorts sont ceux de la mise en récit ou « storytelling », qui s’inspire beaucoup du schéma actanciel. Après tout, raconter c’est communiquer, et communiquer c’est raconter. Les livres pour enfants sont de très bons exemples de ce cadre rigoureux, au sein duquel peut s’épanouir l’imaginaire. Leur structure est même si puissante qu’elle a réussi à restituer et canaliser de manière symbolique les peurs primitives de l’enfance – et de l’âge adulte. Si puissante que la répétition propre au genre l’enrichit : il n’y a qu’à voir les yeux des enfants lorsqu’on raconte pour la 50e fois le même conte, qu’ils connaissent par coeur, anticipant déjà le plaisir qu’ils auront lors de la chute ou de tel ou tel passage.

Alors laissons l’histoire où nous l’avions laissée, au moment où dragon, chevalier, cheval et bisou rentrent gaillardement au château et reprenons tout depuis le début :

Once upon a tuesday …